
« J’expérimente la peau des choses »
Frémissements est une épopée décalée d’objets choisis par l’artiste plasticienne Lise Adèle Groussin, des moulins à vent (Les Frémissants), des fragments de pistolets aimantés (Démanteler), des soldats de plomb (Opération Phenix) …
L’exposition présente des installations, des photos, des vidéos, ainsi que des dessins. « Les formes les plus marquantes de mon répertoire visuel reposent sur trois notions qui s’associent et se disjoignent : la mobilité, la dualité et la strate, notion subjective qui constitue un objet ou des espaces »
L’objet crée des mondes. Tout objet est regardé, manipulé, il peut être cassable ou cassé, mobile ou statique, fonctionnel ou inutile, quotidien ou sacré. L’objet est interdépendant de son espace, de notre espace . L’objet VIT . Cette «vivance » fonde le travail de Lise Adèle Groussin qui intervient sur lui , le harcèle, le décortique, l’esthétise, l’expérimente, le rend insolite et même absurde . « Les Frémissants » rassemble une installation de moulins à vent que Lisa Adèle Groussin a lestés, pour contrarier leur mouvement
ou peut-être même mettre l’accent sur leur fonctionnalité initiale : tourner avec le vent. Le spectateur est invité à perturber cette installation. Que se passe-t-il ? Des chocs, des chutes ?« Le processus conçu pour conserver sur une courte durée sans altérer se transforme en mécanique d’altération de l’objet »
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Texte : Andrée Grammatico, directrice de l'espace Regards pour l'exposition "frémissement".
OMNI







Les OMNI en plâtre sont pratiquement des boules. Chacune d’elles a une forme et un son qui lui sont propres. Ce matériau a pour caractéristique de s’altérer, de prendre la trace des chocs, des confrontations avec d’autres volumes solides qui construisent l’espace urbain. Cet élément, quand il est fixe, ne dévoile pas les sons qu’il contient. Il faut le saisir, le secouer pour qu’il exprime sa caractéristique sonore. Le son des OMNI est produit par différents objets du quotidien trouvés dans la rue. Si un de ces éléments venait à se casser, il répandrait au sol les petits objets ,rebuts de la rue qu’il contient. Ces derniers feront alors leur réapparition. Les OMNI cherchent à rompre la familiarité de notre espace quotidien : ou plus précisemment ils oscillent entre familier et étranger. Ils invitent à d’autres usages, d’autres manières de faire et d’être avec, d’autres pensées.
Lygia Clark a réalisé un ensemble de sculptures, les Bichos, dont chaque partie en aluminium est reliée à une autre par des charnières qui permettent de manipuler les objets, de les façonner. En fonction des désirs de celui ou de celle qui les prend en main: et en fonction aussi des contraintes formelles propres aux oeuvres,l’aspect en est modifié Les Bichos sont des créatures indéfinies et animées, des êtres qui deviennent mobiles ou mouvants du fait de l’intervention du spectateur-manipulateur. « Maurice Fréchuret, Thierry Davila, « L’art médecine », Réunion des Musées Nationaux RMN 1999, p.65 Mes charnières sont toujours fragiles. Ci ce sont des aimants ( OMNI en bitume), ils n’auront pas tous la même attraction. Ainsi des possibles s’accentuent. Les combinaisons sont en suspend. Il faut composer avec la différence, avec la singularité, avec l’irrégularité. Ce que l’on a mis en place peut à tout moment s’écrouler, changer de forme. Les OMNI que je constitue dessinent un motif, une composition éphémère. Ils attendent un nouveau contexte, une nouvelle histoire, un nouveau mouvement. La position qu’ils occupent dans l’espace n’est qu’une étape, un moment avant le déplacement, comme en attente d’un devenir autre.
LES FRÉMISSANTS...
OMNI "LA"
photographie, 2009, Titre / la
Un objet sur roulette est toujours en sursis devant la multitude des possibles. Son mouvement oscille entre hasard et choix. L’incertain domine cette apparente fixité en attente d’un nouveau déplacement.Les sculptures en revêtement de sol sont dans mon travail toujours des éléments émergents et mobiles. Pour la plupart, leur absence dans la rue est rendue visible par un trou. Je remets donc les sculptures dans les accrocs. J’observe l’asphalte, la ‘’peau’’ éphémère des terres urbanisées.
De pas en pas, j’use les revêtements de la rue, je laisse une infime trace de mon passage anonyme. Contingentée entre les murs et les sols. Derrière le béton, un horizon, un là-bas fantasmé. L’instabilité des masses, des volumes est souvent comme en suspens dans ce que je produis. Ce qui apparaît comme massif, ce qui peut inspirer la pérennité, à s’effriter, à s’éroder. Dans l’antiquité égyptienne et romaine les roulettes n’existaient pas ;seules les roues de grande taille étaient utilisées bien qu’elles soient beaucoup plus difficiles à fabriquer. Cette évolution contradictoire est due au revêtement de sol dans les villes. Les sols forment une bande lisse et régulière. Les petites roues rencontrent peu d’obstacles et il devient possible de développer l’équipement de la moindre charge. Les roulettes deviennent les béquilles indispensables aux urbains.
«Intact» du 20 au 29juin 2011 à la galerie « Brigitte Industrie» les L’elaboratoire, 48 bd Villebois-Mareuil, Renne.
OPÉRATION PHÉNIX
Je suis partie d’un postula simple : il y a dans l’objet qui s’embrase quelque chose d’hypnotique. Entre attirance et mise à distance, entre création et destruction. Deux sujets très différents m’ont accompagné lors de la création de ce projet. Je me souvenais d’un conte que j’aimais enfant intitulé Le Vaillant soldat de plomb d’Hans Christian Andersen paru en 1838. Le Vaillant soldat finit par fondre dans un poêle, mis dans cette posture périlleuse par un petit garçon. Sorte de sadisme enfantin où l’on perçoit le plaisir de détruire, d’expérimenter la transformation. Les soldats en plastique sont une reproduction en miniature du monde des adultes. Ils sont faits pour simuler l’art de la guerre, peut -être même pour la dédramatiser. «Tu te libèreras de tes rages, de tout ce que tu réprimes en toi, et tu seras prêt à accueillir d’autres messages, qui n’ont pour objet ni mort ni destruction» écrit Umberto Eco dans Lettre à mon fils.
Les images de la guerre du Vietnam ont particulièrement marqué mon esprit, on pouvait y voir des corps en train de prendre feu à cause de l’essence gélifiée qu’est le napalm. Symboliquement, il y a bien sûr toutes ces guerres où l’homme devient ‘chair à canon’. On peut penser d’un point de vue formel à L’enfer des soldats de plomb des frères Chapman ou Les ours démembrés de Charles Ledray. Dans cette succession de vidéos que je présente, les éléments spatiaux ont été réduits pour ne pas être référencés par rapport à une guerre spécifique. Pour ce qui est du feu, il implique une vigilance fondée sur la peur et la fascination. Mais le feu a une nature irrésistible, qui une fois lancée semble avoir une vie qui lui est propre, pourtant nous faisons tout pour qu’il ne nous échappe pas. Nous sommes alors entre répulsion et attirance, captivés par les flammes dansantes. On peut y voir aussi la fin de l’enfance, jalonnée de petits jouets quasi insignifiants pour les autres, mais qui prennent de la valeur pour nous, par l’affectif et par l’histoire qu’ils représentent. Chacun d’entre nous conserve l’image d’un jouet qui lui a été cher et dont la perte se voit un jour effective.
Le jouet en flamme possède une force symbolique très immédiate empeinte d'une grande nostalgie pour l'enfance perdue, mais il est aussi le propre carburant de sa destruction. C'est toute l'ambivalence à la fois tendresse et violence.
